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23/09/2015

"Sept cavaliers quittèrent la ville..." - Jean Raspail

7 cavaliers.jpg« Sept cavaliers quittèrent la Ville au crépuscule, face au soleil couchant, par la porte de l’Ouest qui n’était plus gardée. Tête haute, sans se cacher, au contraire de tous ceux qui avaient abandonné la Ville, car ils ne fuyaient pas, ils ne trahissaient rien, espéraient moins encore et se gardaient d’imaginer. Ainsi étaient-ils armés, le cœur et l’âme désencombrés scintillant froidement comme du cristal, pour le voyage qui les attendait. Sur l’ordre du margrave héréditaire, simplement, ils allaient, ils s’étaient mis en mouvement et le plus jeune d’entre eux, qui n’avait pas seize ans, fredonnait une chanson… »

Ce texte est le premier paragraphe d’un roman de Jean Raspail intitulé « Sept cavaliers quittèrent la ville au crépuscule par la porte de l’Ouest qui n’était plus gardée ».

Extrait choisi, non pas pour parler de ce roman en particulier, mais pour illustrer l’œuvre de Jean Raspail, grand auteur français méconnu et surtout mal aimé.


Et pourtant quel plaisir de lecture, quelle langue, quel souffle épique. Il nous emmène dans des terres lointaines en partie mythiques, chevauchant avec des margraves en rupture de ban et des abbés menant leur dernière croisade, pour la civilisation.

Il fait rêver, porte l’esprit de son lecteur vers des sentiments élevés de don de soi, de courage au milieu du chaos, de respect religieux, d’esprit hussard. C’est un poète, dernier conteur désabusé de la puissance occidentale, spectateur déçu d’un monde qui s’en va, le sien, le nôtre…

Se définissant lui-même comme veilleur (tiens, tiens…) ou éveilleur, il chante la beauté d’un monde qui disparaît, ce monde que nous essayons de remettre en lumière.

Alors est-ce le poète du désespoir, comme disent certains, le gardien de ruines veillant sur leur agonie et faisant son miel de l’amère beauté de cette mort ?

En fait, l’espérance n’est pas absente de l’œuvre de Raspail, elle est simplement moins évidente, moins facile. Même quand tout semble visiblement perdu, l’espérance demeure car elle reste accrochée à la foi de quelques uns, d’un petit reste qui survit à son époque (Re tiens, tiens…).

Dans « Sire », le Roi demeure même si la royauté n’existe plus pour personne. De même dans « l’Anneau du pêcheur », malgré toutes les attaques dirigées contre le Pape et les divisions entre chrétiens, l’Eglise demeure.

Pour comprendre l’espérance telle qu’on peut la trouver chez Jean Raspail, voici un texte de Bernanos tiré de » Essais et écrits de combat » de 1942 :

« Les gens qui me veulent trop de bien me traitent de prophète. Ceux qui ne m’en veulent pas assez me traitent de pessimiste. Le mot de pessimisme n’a pas plus de sens à mes yeux que le mot d’optimisme, qu’on lui oppose généralement. Le pessimiste et l’optimiste s’accordent à ne pas voir les choses telles qu’elles sont. L’optimiste est un imbécile heureux. Le pessimiste est un imbécile malheureux. (…)

Je sais bien qu’il y a parmi vous des gens de très bonne foi, qui confondent l’espoir et l’optimisme. L’optimisme est un ersatz de l’espérance, dont la propagande officielle se réserve le monopole. Il approuve tout, il subit tout, il croit tout, c’est par excellence la vertu du contribuable. Lorsque le fisc l’a dépouillé même de sa chemise, le contribuable optimiste s’abonne à une revue nudiste et déclare qu’il se promène ainsi par hygiène, qu’il ne s’est jamais mieux porté.

Neuf fois sur dix l’optimisme est une forme sournoise de l’égoïsme, une manière de se désolidariser du malheur d’autrui.

C’est un ersatz de l’espérance, qu’on peut rencontrer facilement partout, et même, tenez par exemple, au fond de la bouteille. Mais l’espérance se conquiert. On ne va jusqu’à l’espérance qu’à travers la vérité, au prix de grands efforts et d’une longue patience. Pour rencontrer l’espérance, il faut être allé au-delà du désespoir. Quand on va jusqu’au bout de la nuit, on rencontre une autre aurore.

Le pessimisme et l’optimisme ne sont à mon sens, je l’ai dit une fois pour toutes, que les deux aspects, l’envers et l’endroit d’un même mensonge. Il est vrai que l’optimisme d’un malade peut faciliter sa guérison. Mais il peut aussi bien le faire mourir s’il l’encourage à ne pas suivre les prescriptions du médecin. Aucune forme d’optimisme n’a jamais préservé d’un tremblement de terre, et le plus grand optimiste du monde, s’il se trouve dans le champ de tir d’une mitrailleuse, est sûr d’en sortir troué comme une écumoire.

L’optimisme est une fausse espérance à l’usage des lâches et des imbéciles. L’espérance est une vertu, virtus, une détermination héroïque de l’âme. La plus haute forme de l’espérance, c’est le désespoir surmonté.

Mais l’espoir lui-même ne saurait suffire à tout. Lorsque vous parlez de « courage optimiste », vous n’ignorez pas le qu’un « courage optimiste » ne saurait convenir qu’à des difficultés moyennes. Au lieu que si vous pensez à des circonstances capitales, l’expression qui vient naturellement à vos lèvres et celle de courage désespéré, d’énergie désespéréeJe dis que c’est précisément cette sorte d’énergie et de courage que notre pays attend de nous. »

Alors Raspail chantre du désespoir ou de l’espérance dont notre pays a besoin ? A chacun de juger…

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