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14/11/2014

Faut-il défendre la langue française ?

Philippe LALANNE-BERDOUTICQ, écrivain, administrateur de Défense de la langue française

Gœthe disait : l'âme d'un peuple vit dans sa langue Parce qu'une langue, à la fois, exprime et imprime. Dès le jeune âge, elle imprime des structures dans notre esprit, par exemple, la rigueur de l'ordre direct des mots dans la phrase française qui va généralement du simple au complexe, de la partie vers le tout : un bouton de porte. - ou bien, au contraire, dans la phrase allemande, une sorte de préférence affective concrétisée par la pose de l'adjectif toujours avant le nom - ou encore, dans la phrase anglaise, un souci de commodité consistant à mettre le complément de nom avant ce nom. Un bouton de porte devient a door knob.


Chacune de ces structures modèle notre architecture mentale, répond à une logique, à un sens des rapports, à un ordre des priorités particulier, à une façon de ressentir les choses. De les ressentir et de les exprimer à travers des mots qui, à l'oreille, auront leur musique propre. Architecture des concepts, musique de l'expression, telle est la langue.

Lorsque au bout de mille ans, ce qui est à peu près l'âge de notre langue, un grand nombre d'écrivains, de philosophes, de chefs de guerre ou d'administrateurs, de scientifiques, de poètes, ont ajouté chacun sa pierre à l'édifice de ce qu'exprime une langue, il y a là un trésor de culture. Culture conçue comme un humus vivant, un humus de l'esprit enrichi par chaque génération et offert aux esprits de l'avenir pour y plonger leurs racines. Langue = continuité.

Voilà pourquoi la langue est l'identité nationale, langue et formation des structures intellectuellement d'une société, sont liées.

 L'expansion de notre langue, s'est toujours accompagnée de l'expression par elle de deux éléments qui dépassent le champ d'une culture particulière et qui l'élargissent au niveau d'une civilisation. Ces deux éléments sont : le savoir technologique, augmenté lors de chaque génération - et l'art de vivre, ce reflet dans les mœurs d'un mode de pensée, de sensibilité, d'art. (…)

Art de vivre français à une heure où la civilisation s'étend à l'Espace et où nous devons y tenir notre place.

 Ces remarques nous conduisent tout droit au fond du problème, celui qui exige de notre part à tous, une prise de conscience et un effort urgent pour - je ne dirai pas défendre - mais bien plutôt redresser et sauver les destinées de la langue française.

Ne nous y trompons pas. L'Amérique est militairement notre alliée de longue date. Nous l'avons aidée à naître et nous savons ce que nous lui devons. Mais économiquement, les Américains sont nos concurrents - redoutables dans les négociations commerciales mondiales. Et culturellement, ils sont nos adversaires déclarés. Et constants.

Pourquoi ? Pour imposer une langue unique au monde. Et à partir de leur puissance industrielle, technologique et médiatique, de leur dollar, des rythmes qu'ils martèlent et de leurs réseaux informatiques, pour former une commune manière de penser, de sentir et d'agir.

Toute hégémonie signifie dépersonnalisation. L'attachement à des langues de cultures autres que l'unique anglo-américain, est le plus sûr rempart contre la perte de nos identités. (…)

Tout se ramène-t-il à une question morale ?Être ou ne pas être, y croire ou ne plus y croire ?

Croire en ses qualités propres et, d'abord, en sa légendaire clarté. Vous avez tous en mémoire la fameuse controverse sur la résolution des Nations unies ordonnant à Israël de se retirer « from occupied territories ». De ou des territoires occupés ? Autrement dit, de certains ou de tous ? La formule anglaise est équivoque, et cette équivoque contribua à entretenir le conflit israélo-arabe. La version française, elle, avait choisi l'une des deux options. Au moins avait-elle le mérite de la clarté.

Des emprunts auprès d'autres langages ont toujours existé ! En petit nombre, ils enrichissent. Au rythme d'une invasion, ils dénaturent. Et un certain snobisme à courte vue, qui sous-entend la supériorité de l'anglo-américain, le traite comme langage de référence et brouille l'image du nôtre, rend très difficile la tâche de ceux qui travaillent à lui garder sa qualité et son rang.

Or, répétons-le, ce rang régresse. Il régresse dans les textes de l'union Européenne où le français a cessé depuis 25 ans d'être la langue de travail et où certains appels d'offre ne sont rédigés qu'en anglais. Il régresse à l'ONU où moins d'un quart des délégations utilisent le français contre près du tiers voici 20 ans. (…)

Commençons par le commencement. Par enseigner un français correct aux enfants. Tâche ardue si l'on songe qu'¼ de ceux-ci entrent en 6e sans pouvoir correctement lire et comprendre un texte de difficulté élémentaire. Constat confirmé par l'actuel Ministère de l'enseignement. Commençons par apprendre aux petits français à lire leur langue et en même temps à penser. À structurer leur pensée. À respecter leur langue. Et puis à s'ouvrir aux autres, à plusieurs autres sans dénaturer la leur.

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