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14/11/2014

Racine - Bérénice - Acte IV scène 1 (extrait)

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Bérénice, reine de Palestine, est secrètement recherchée en mariage par Antiochus, roi de Comagène, à l’époque où Titus vient mettre le siège devant Jérusalem. Celui-ci la voit, l’aime et, lorsqu’il est vainqueur, l’emmène avec lui à Rome dans le dessein de l’épouser. Antiochus suit la reine et continue à la voir sous le voile de l’amitié, espérant toujours que quelque obstacle imprévu viendra traverser les projets de mariage de son rival. Son espoir n’est pas trompé. Le sénat vient faire connaître à l’empereur que les Romains se refusent à accepter une étrangère pour impératrice. Titus se voit donc forcé, à son grand regret, desacrifier son amour à son ambition.


Mais n’ayant pas la force d’annoncer lui-même cette résolution à Bérénice, il charge Antiochus de cette douloureuse mission. Bérénice, qui a de la peine à y croire, accourt, pour s’en assurer, dans l’appartement de l’empereur et y rencontre le Sénat qui vient féliciter Titus de la rupture de son mariage. Elle s’éloigne aussitôt, résolue à se donner la mort ; mais bientôt, assurée de l’amour de Titus et ne voulant pas compromettre son autorité, elle prend la généreuse résolution de quitter l’Italie avec Antiochus dont elle n’encourage pas néanmoins les espérances.

 

Ah ! Cruel, est-il temps de me le déclarer ?

Qu'avez-vous fait ? Hélas ! Je me suis crue aimée.
Au plaisir de vous voir mon âme accoutumée
Ne vit plus que pour vous. Ignoriez-vous vos lois,
Quand je vous l'avouai pour la première fois ?
A quel excès d'amour m'avez-vous amenée !
Que ne me disiez-vous : «Princesse infortunée,
Où vas-tu t'engager, et quel est ton espoir ?
Ne donne point un coeur qu'on ne peut recevoir».
Ne l'avez-vous reçu, cruel, que pour le rendre,
Quand de vos seules mains ce coeur voudrait dépendre ?
Tout l'empire a vingt fois conspiré contre nous.
Il était temps encor : que ne me quittiez-vous ?
Mille raisons alors consolaient ma misère :
Je pouvais, de ma mort, accuser votre père,
Le peuple, le sénat, tout l'empire romain,
Tout l'univers, plutôt qu'une si chère main.
Leur haine, dès longtemps contre moi déclarée,
M'avait à mon malheur dès longtemps préparée.
Je n'aurais pas, Seigneur, reçu ce coup cruel
Dans le temps que j'espère un bonheur immortel,
Quand votre heureux amour peut tout ce qu'il désire,
Lorsque Rome se tait, quand votre père expire,
Lorsque tout l'univers fléchit à vos genoux,
Enfin quand je n'ai plus à redouter que vous. 

TITUS
Et c'est moi seul aussi qui pouvais me détruire.
Je pouvais vivre alors et me laisser séduire.
Mon coeur se gardait bien d'aller dans l'avenir
Chercher ce qui pouvait un jour nous désunir.
Je voulais qu'à mes voeux rien ne fût invincible ;
Je n'examinais rien, j'espérais l'impossible.
Que sais-je ? J'espérais de mourir à vos yeux,
Avant que d'en venir à ces cruels adieux.
Les obstacles semblaient renouveler ma flamme.
Tout l'empire parlait ; mais la gloire, Madame,
Ne s'était point encor fait entendre à mon coeur
Du ton dont elle parle au coeur d'un empereur
Je sens bien que sans vous je ne saurais plus vivre,
Que mon coeur de moi-même est prêt à s'éloigner ;
Mais il ne s'agit plus de vivre, il faut régner. 

BERENICE
Hé bien ! Régnez, cruel ; contentez votre gloire :
Je ne dispute plus. J'attendais, pour vous croire,
Que cette même bouche, après mille serments
D'un amour qui devait unir tous nos moments,
Cette bouche, à mes yeux s'avouant infidèle,
M'ordonnât elle-même une absence éternelle.
Moi-même, j'ai voulu vous entendre en ce lieu.
Je n'écoute plus rien, et pour jamais, adieu.
Pour jamais ! Ah ! Seigneur, songez-vous en vous-même
Combien ce mot cruel est affreux quand on aime ?
Dans un mois, dans un an, comment souffrirons-nous,
Seigneur, que tant de mers me séparent de vous ?
Que le jour recommence, et que le jour finisse,
Sans que jamais Titus puisse voir Bérénice,
Sans que de tout le jour je puisse voir Titus ?
Mais quelle est mon erreur, et que de soins perdus !
L'ingrat, de mon départ consolé par avance,
Daignera-t-il compter les jours de mon absence ?
Ces jours si longs pour moi lui sembleront trop courts. 

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