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17/12/2014

Intrusion du politique dans l’Histoire : les lois mémorielles

L’histoire étudie et tente de comprendre les événements du passé tandis que la mémoire en ravive le souvenir et les préserve de l’oubli. Toutes deux sont donc liées, mais de nature différente. Depuis plusieurs années, les historiens constatent une confusion entre ces deux matières. La conséquence directe de cet amalgame est l’instrumentalisation de l’histoire et de la mémoire par le politique, c’est-à-dire par le législateur. L’apparition en France de lois mémorielles a suscité un débat entre les historiens, soucieux de défendre leur liberté de recherche, et les politiques, préoccupés par la défense de la mémoire.


Mais qu’est-ce qu’une loi mémorielle ? Une loi interdisant à quiconque de discuter un fait historique sous peine de poursuites. Elles sont actuellement quatre. La première est la loi du 13 juillet 1990, dite « loi Gayssot », « tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe ». Elle est suivie en 2001 par deux autres lois, celle du 29 janvier qui, dans un article unique, dispose que « la France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915 » ; celle du 21 mai, dite « loi Taubira », « tendant à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité ». La dernière en date est celle du 23 février 2005, dite « loi Mekachera » « portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés » d’Afrique du Nord et d’Indochine. (…)

Dans (un) rapport de 2005, le Conseil d’État a rappelé que « la loi est faite pour prescrire, interdire, sanctionner ». Elle doit être normative, c’est-à-dire, qu’elle doit énoncer des règles de droit qui posent des sanctions. Une obligation également soulignée par le Conseil constitutionnel. À cet égard, les lois mémorielles ne sont pas toutes de même nature. Les lois Gayssot et Taubira ont créé de nouveaux délits et de nouveaux droits. La première punit la négation du génocide des Juifs et prévoit des sanctions applicables par le juge grâce à l’ajout d’un article 24 bis à la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881. La deuxième permet aux associations de se porter partie civile pour discrimination, diffamation ou injure. Enfin, l’article 5 de la loi du 23 février 2005 fixe les droits des Harkis, dont celui de se défendre contre les injures et diffamations.

La question essentielle est de savoir si ces textes ont fait avancer la connaissance historique de la Shoah, de la traite négrière et de l’esclavage ou de la colonisation. Non, car la loi ne peut tenir lieu d’histoire. De plus, il existait déjà, en particulier avant la mise en œuvre de la loi Gayssot, tout un arsenal juridique utilisé à maintes reprises contre les négationnistes.

Comme l’a souligné l’historienne Madeleine Rebérioux, ancienne présidente de la Ligue des droits de l’homme, ce n’est pas à la loi, donc au tribunal, de dire le vrai en histoire. « Le concept même de vérité historique récuse l’autorité étatique », écrit-elle. Et d’ajouter : « L’expérience de l’Union soviétique devrait suffire en ce domaine. Ce n’est pas pour rien que l’école publique française a toujours garanti aux enseignants le libre choix des manuels d’histoire. » L’historien n’est pas un juge, il n’introduit pas un jugement de valeur. Il cherche le vrai, parfois à travers le faux. L’histoire n’est pas une science exacte, simple à comprendre et facile à juger. Il est normal que la loi fasse respecter des notions essentielles inscrites dans la Déclaration des droits de l’homme, mais elle n’a pas à qualifier un fait historique, à proclamer une vérité étatique ni à se mêler de l’enseignement de l’histoire et de la recherche. 

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