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17/01/2015

« Vous n’avez rien à transmettre »

Il s’est produit, dans nos sociétés occidentales, un phénomène unique, une rupture inédite : une génération s’est refusée à transmettre à la suivante ce qu’elle avait à lui donner, l’ensemble du savoir, des repères, de l’expérience humaine immémoriale qui constituait son héritage. Il y a là une ligne de conduite délibérée, jusqu’à l’explicite : j’étais loin d’imaginer, en commençant à enseigner, l’impératif essentiel qui allait structurer ma formation de jeune professeur. « Vous n’avez rien à transmettre » : ces mots, prononcés à plusieurs reprises par un inspecteur général qui nous accueillait dans le métier le jour de notre première rentrée, avaient quelque chose de si étonnant, qu’ils ont marqué ma mémoire. (…)


Nous voulons toujours éduquer mais nous ne voulons plus transmettre. La faillite de ce projet éclaire la crise contemporaine d’une lumière neuve : les enseignants ne sont pas subitement devenus médiocres, les parents n’ont pas massivement oublié leur responsabilité. On leur a simplement confié une mission impossible, impensable. La société leur a demandé d’éduquer mais en laissant l’enfant libre, vierge de toute trace d’autorité, délivré de tout le poids d’une culture antérieure à son individualité. Nous voulons absolument éduquer les jeunes, au respect, à la tolérance, à la citoyenneté… Mais cela ne suppose pas de transmettre, croit-on. Il suffit de créer, pour se rassurer, le cadre flottant d’un ensemble de valeurs qu’on répète consensuelles en espérant qu’elles le deviennent ; puis l’enfant devra se lancer tout seul à la recherche de son savoir, de ses décisions morales et de son destin. (…)

La jeunesse est pauvre aujourd’hui de tout ce qu’on ne lui a pas transmis, de toute la richesse de cette culture que, pour une très large part, elle ne comprend plus. Désemparée, déséquilibrée, elle revient bien souvent au dernier mode d’expression qui reste toujours disponible  pour celui qui n’a plus de mots pour parler : la violence. Inarticulée, incompréhensible, dépourvue de sens, cette violence marque ceux qui n’ont pas la chance de fréquenter la culture par un autre moyen que par l’école. Dans les familles les plus fragiles, les quartiers les plus défavorisés, la violence devient un moyen d’expression, quand la langue est un lieu hostile. Voilà le résultat de notre propre projet. Nous voulions dénoncer les héritages ; nous avons fait des déshérités.

François-Xavier Bellamy - Les Déshérités - Ed. Plon

Commentaires

Magnifique. Je copie en vous mentionnant.

Écrit par : COLLIGNON | 17/01/2015

Bonjour ! j'ai recopié votre texte complet sur mon blog, en mentionnant votre courriel. Envoyez-moi votre adresse de blog, afin que je l'inscrive dans ma liste svp ! merci beaucoup ! Bernard COLLIGNON.

Écrit par : COLLIGNON | 17/01/2015

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