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14/03/2015

L’hypocrisie de la laïcité - Chantal Delsol

La laïcité est une forme bien française de sécularisation. Elle consiste moins à “séparer les glaives” qu’à confiner la religion. En ce sens, elle participe d’un espoir de déracinement général, visant à faire des individus des citoyens à l’état pur, nourris exclusivement d’universel. Il faut que les enfants des provinces cessent de parler le patois et il faut aussi taire l’appartenance religieuse. Comme si nous pouvions n’appartenir qu’à la République, une et indivisible ; comme si nous n’avions pas (et en premier lieu !) des origines familiales, un lieu de naissance, une province sur terre et peut être une autre au ciel. Il faut être idéologue comme un Français pour défendre un rêve si loufoque, qu’aucun peuple ne nous envie, même si naturellement nous souhaiterions l’exporter partout.


Ainsi, les problèmes que rencontre la République avec les musulmans signifient seulement que, pour la première fois, la laïcité se heurte à des gens qui refusent d’abandonner sans murmurer leurs particularités. La République, devant cette résistance, demeure tout étonnée : elle avait l’habitude des chrétiens qui, par peur d’être traités d’inquisiteurs, acceptaient tout ce qu’on voulait.

Il n’y a pas d’homme neutre, fils en ligne directe de la république nourricière. Quand Sade écrit : « Français, encore un effort pour être républicains », il le développe ainsi : encore un effort pour vous déraciner – de vos attaches affectives, filiales, que sais-je. Pour être de vrais citoyens, il nous faut nous débarrasser de nos appartenances particulières ou faire comme si elles n’existaient pas – ce qui revient à les étouffer, car une appartenance se vit au-dehors et avec d’autres, elle ne peut survivre confinée dans la conscience muette. En arrachant les signes visibles d’appartenance, la laïcité mène un combat contre les enracinements qu’ils expriment. Il n’est pas du tout étonnant que la France ait été le seul pays à refuser radicalement la mention des racines chrétiennes dans la Constitution européenne. Les autres pays d’Europe sont sécularisés : ils distinguent les domaines, mais ne nourrissent pas le projet d’étouffer l’un au profit de l’autre.

La neutralité laïque fleure l’hypocrisie. Le théâtre public de la société laïque étalée sous nos yeux n’est pas du tout neutre. Être un vrai citoyen signifie sacrifier aux rites et aux croyances républicaines, nouvel enracinement auquel, sans le dire, on nous astreint. Il ne faut pas prononcer certains mots. Il ne faut pas compter certains groupes. Il faut faire l’éloge de certaines normes et en détester d’autres, bien précisées au catalogue. Celui dont la langue dérape reçoit un blâme collectif. Celui qui réitère va au procès. Plutôt qu’une neutralité, n’avons-nous pas suscité une religion d’État ?

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